On poursuit cette édition 2019 du Festival d’Annecy avec un film toujours inédit dans nos contrées et dont on attend encore l’annonce potentielle ; une anthologie de courts-métrages inégale mais globalement réjouissante, j’ai nommé la dernière production du studio Ponoc, Modest Heroes.
Si vous suivez un peu l’animation japonaise, vous savez que le studio regroupe de nombreux artistes ayant auparavant travaillé chez Ghibli et qu’on leur doit déjà Mary et la fleur de la sorcière, dont j’avais parlé à sa sortie. Nul besoin d’y revenir mais en revanche, on va se poser un peu et évoquer rapidement cet omnibus, qui ne manque pas de qualités en dépit d’une entrée en matière qui se contente de charmer à défaut de transcender. Pas de bol, ce premier court est signé Hiromasa Yonebayashi, réalisateur du fabuleux Arrietty, le petit monde des chapardeurs, l’un des mes films préférés de la décennie.
Et si l’on devait résumer grossièrement Kanini & Kanino – le titre de ce premier segment, on pourrait justement en faire une version aquatique d’Arrietty dans laquelle là aussi, des êtres minuscules tentent de survivre dans un milieu qui leur est hostile. Il s’agit par ailleurs de l’idée centrale de l’omnibus, dans la mesure où chacun des courts-métrages va mettre en scène ces « modest heroes », soit ces familles, ces individus lambda dont la grandeur d’âme et l’importance de la lutte n’ont rien à envier à ces héros qui nourrissent notre imaginaire. Toujours dans la lignée d’Arrietty, la tentative de survie permanente des personnages rappelle la difficile cohabitation entre le fantastique et notre quotidien. L’une des images fortes du film est d’ailleurs celle d’une aile de fée emportée par le courant, mais qui sauvera tout de même les protagonistes au final.
Assez joli, avec ses personnages tout en rondeurs et sa DA voulue plus naturaliste comme pour souligner le véritable conflit à l’œuvre dans sa dureté ou son évolution chromatique, Kanini & Kanino propose quelques belles idées visuelles et thématiques (le père emporté par une simple bulle, l’ironie du sauvetage final par une menace plus grande encore…). Reste que comme bien souvent, l’efficacité de l’instant est relativisée par une sensation récurrente de déjà-vu. Aussi mignon et agréable soit-il, le court ressemble bien trop à ce que l’on pouvait en attendre dès l’annonce du projet. Parce qu’il ne surprend donc jamais totalement, il est hélas l’une de ces sucreries dont on oubliera le goût assez vite.
Ce qui n’est pas du tout le cas du deuxième segment, intitulé Life ain’t gonna lose et mis en scène par Yoshiyuki Momose, un vieux de la vieille qui est lui aussi passé par Ghibli et que l’on retrouvera sous peu dans le futur film adapté de Ni no Kuni, dont il est le réalisateur. On quitte ici totalement la féerie pour un récit ancré dans un quotidien très concret, très contemporain, afin de suivre l’histoire d’une mère et de son fils atteint d’anaphylaxie.
Exit donc les menaces physiques de la Nature pour quelque chose de plus insidieux, à savoir l’allergie aux œufs pouvant coûter la vie à un jeune garçon. Une menace peut-être plus fondamentale encore puisqu’en elle s’incarnent les notions de fatalité et de hasard. Derrière ce mal et ses manifestations, c’est l’imprévisibilité de l’existence qui point, son extrême fragilité. Mais ainsi que l’évoque son titre, Life ain’t gonna lose voit les choses d’un autre œil. Si ces thématiques infusent le récit, Momose leur oppose une réalisation pleine de vie qui illustre cette lutte contre l’impermanence. Visuellement, le court-métrage affiche ainsi une légèreté de tous les instants. De sa caméra mobile à ses couleurs pétaradantes, le film revêt l’esprit et l’énergie d’une enfance enthousiaste, que renforce un amour évident de l’animation, donc du mouvement. Le choix d’une mère passionnée de danse et d’un enfant joueur de base-ball illustrent bien ce refus de l’immobilité, synonyme de mort, et autorisent ce florilège de gestes amples et éphémères qui nous définissent. Les plus grands moments de ce petit quart-d’heure sont bel et bien ceux de l’empressement des personnages à lutter contre la mort, évoquant – visuellement – rien de moins que la séquence de fuite de la princesse Kaguya dans le chef-d’œuvre d’Isao Takahata. Yoshiyuki Momose est indéniablement un homme de talent, capable de faire monter la tension avec rien, et d’émouvoir avec seulement quelques scènes matérialisant la complicité d’une mère et de son fils. Et achève de nous captiver avec cette sublime ode à la vie.
On termine avec le meilleur segment du lot, une proposition de cinéma qui fleure bon l’animation japonaise du siècle dernier et qui constitue mine de rien l’une de mes meilleures séances de ce festival d’Annecy. Ça s’appelle Invisible et c’est également réalisé par un ancien de la maison Ghibli, Akihiko Yamashita, directeur de l’animation sur Le château ambulant ou La colline aux coquelicots.
Et d’emblée, le ton est donné. Muni de son trait plus irrégulier et de ses décors chargés de détails, Yamashita nous plonge dans un monde plus terne, plus oppressant ; celui d’un employé de concession automobile littéralement invisible aux yeux des autres autant qu’aux siens. Le sous-texte social est évident et les nombreux jeux de vues subjectives forcent l’identification à ce salaryman seul au monde, forcé de porter des objets lourds pour ne pas littéralement s’envoler. Certes séduisante, cette allégorie d’une lutte désespérée pour garder les pieds sur terre n’est que l’argument symbolique d’Invisible. Ce qui intéresse Yamashita n’est pas d’enfoncer des portes ouvertes mais bien de les enrichir par l’expérience de sa mise en scène et sur ce point, le court-métrage est le plus jouissif de l’anthologie. Le paradoxe est de taille, compte tenu de la faculté du réalisateur à nous immerger dans un quotidien terriblement anxiogène où la météo, les plans larges sans point de fuite ou le bafouement de la règle des tiers sont autant de sources d’inconfort.
Pour autant, le film est un pur plaisir de cinéma exploitant tout le potentiel de l’absurdité de son postulat. Si son atmosphère sombre évoquerait le Cannon Fodder de Katsuhiro Otomo, on pense surtout à Stink Bomb ou à Stopper le travail dans son animation traduisant une certaine énergie du désespoir. Bref, l’exquise saveur d’un art qui préfère ses images à leur paraphrase verbale. Bien aidé par une bande-son au délicieux charme rétro, Invisible se révèle d’une beauté inquiétante autant qu’intense expérience de la solitude. Et ne serait-ce que ce n’est pas tous les jours qu’une œuvre manie aussi bien les oxymores, vous savez très bien ce qu’il vous reste à faire.
Leave A Reply