Quatre ans après Miss Hokusai, Keiichi Hara fait son retour dans les salles françaises le 24 juillet avec Wonderland, le Royaume sans pluie. Sa présence au Festival International du Film d’Animation d’Annecy était une nouvelle occasion de rencontrer le cinéaste et de l’interroger sur son film, mais pas que. Une interview menée en collaboration avec Anaïs Tilly, de Courte-Focale.
Vous déclariez en 2015 qu’il y avait de moins en moins d’animateurs de talent sur le marché. Avez-vous connu des difficultés pour recruter l’équipe de Wonderland ?
En fait, la situation s’est aggravée depuis. Il y a maintenant de plus en plus de productions d’animation et du coup, chaque équipe manque cruellement d’animateurs, et surtout de bons animateurs. Cela a donc été extrêmement difficile de trouver les bonnes personnes pour ce film-là. Un autre problème qui existe depuis très longtemps, ce sont les conditions de travail qui sont extrêmement mauvaises.
Justement, de plus en plus d’artistes se plaignent de la surcharge de travail dans l’industrie, quand d’autres continuent de penser que cela est nécessaire. Quel est votre avis ?
On peut tout à fait dire ça aussi : même si on augmente le salaire, cela ne veut pas dire que la qualité du film va augmenter aussi.
Y a-t-il eu des changements en la matière pendant la production de Wonderland, par rapport à vos précédents films ?
En terme de production, pas vraiment. Mais comme Wonderland est un film fantastique, nous étions beaucoup plus libres. C’est ce qui était différent.
L’animation japonaise naît de comités de production de plus en plus imposants, avec une multitude de sociétés aux intérêts divers. Cela a-t-il été un problème sur Wonderland, était-ce un problème pour votre créativité ?
En fait, ce système de production a des avantages et des inconvénients parce qu’évidemment, plus le nombre de sociétés de production est important, plus gros est le budget, ce qui facilite les choses. Mais évidemment, il est difficile d’harmoniser un projet vu que chacun a des idées et des opinions très différentes. Par chance, j’ai toujours réussi à faire les films que je voulais malgré ce système. Bien sûr, il y a parfois des cas où des investisseurs obligent le réalisateur à faire certaines choses mais personnellement, je refuse ce système. Dans le film, il y a des choses qui ont été proposées par les investisseurs, mais elles sont là parce que je les ai acceptées. Il n’y a rien dans ce film que je n’ai pas validé personnellement, même s’il a fallu que j’engueule certaines personnes (il sourit).
Quel regard portez-vous sur l’arrivée de sociétés telles que Netflix dans la production d’anime ? Cela peut-il être bénéfique à long terme ?
(il hésite longuement) C’est sûr que Netflix a vraiment élargi le potentiel de toutes les productions. C’est-à-dire que grâce à eux, on peut réaliser des choses que l’on ne pouvait pas faire jusque-là. Mais moi je suis un réalisateur un peu vieillot, je ne veux pas que mes films ne soient pas projetés sur grand écran. Je ne suis donc pas très séduit par Netflix.
Même s’ils vous donnaient carte blanche et que votre film pouvait être vu par un très large public ? Il n’y a pas un projet qui vous donnerait envie de tenter l’expérience, un film live peut-être ?
S’ils me font une vraie proposition, je suis sûr que je vais accepter. J’aimerais par exemple bien faire une grosse production, un film de guerre en prises de vues réelles.
Comment est né Wonderland ? Est-ce un livre que vous aviez envie d’adapter personnellement ?
Cela s’est fait tout simplement. Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée d’adapter ce roman, on m’a demandé d’en faire l’adaptation pour en tirer un film de divertissement, de genre fantastique. Mais j’ai toujours dit aux producteurs que l’œuvre originale n’avait aucun intérêt et que je voulais tout changer. C’est ce que j’ai fait, il s’agit donc en réalité d’un film original.
Wonderland est votre premier film de pure fantasy et possède plus d’humour que vos précédentes réalisations, était-ce par envie de toucher un public plus large ?
Oui, c’était la proposition du comité de production, on m’a demandé de faire un film destiné au grand public. Je suis moi-même un réalisateur professionnel, disons artisan, donc j’ai accepté cette proposition.
Comment avez-vous abordé la direction artistique ? Vos films sont généralement ancrés dans le quotidien…
Je me considère comme un réalisateur plutôt doué pour parler de la réalité et pas vraiment de mondes fantastiques. Cela a représenté un grand défi pour moi et finalement, j’ai bien compris que le fantastique permet d’avoir l’esprit vraiment très libre, au niveau du character-design mais aussi de la narration. À un moment donné, j’ai pu trouver un vrai intérêt dans le fantastique. J’ai beaucoup parlé avec ma scénariste pour créer ce monde. Visuellement, j’ai aussi beaucoup échangé avec mon directeur artistique et mon character-designer, qui est Russe.
Justement, est-ce vous qui avez choisi Ilya Kuvshinov ? Vos précédents films sont ancrés dans un quotidien très japonais, mais Wonderland a des influences plus occidentales.
A l’époque, je cherchais un character-designer, quand je suis tombé par hasard sur son livre d’illustrations dans une librairie. J’ai tout de suite compris que c’était lui qui devait se charger des personnages. Le fait qu’Ilya soit un occidental a évidemment beaucoup joué et c’est pour ça que beaucoup de personnages secondaires sont occidentaux. Mais pour les scènes de la vie réelle, je tenais à ce que ce soit des japonais.
Les scènes chez Akane au début du film sont à la fois très quotidiennes et féeriques…
Le début du film se passe dans la vie réelle mas je voulais que ce soit très différent de la réalité qu’on connaît, un peu comme une sorte de paradis, de jardin paradisiaque. C’est pour montrer ça que j’ai décidé que les maisons seraient de type occidental. En fait, c’est la porte d’entrée pour le monde fantastique qui va suivre juste après.
La mère d’Akane semble rêveuse et dégage une forme d’innocence, telle une femme-enfant, comment la décririez-vous ?
[SPOILER] Vous avez sûrement compris en voyant le film que la mère avait eu la même expérience. Je voulais donc qu’elle montre cet aspect, qu’elle dégage une atmosphère mystérieuse tout en étant très charmante. L’expérience que la mère d’Akane a vécue dans son enfance a changé totalement sa vie. Au début, on la voit faire attention à la nature : elle s’occupe beaucoup des fleurs, du jardin, elle fait aussi de la couture. Elle ne doit pas se souvenir vraiment de l’aventure qu’elle a vécue mais c’est une expérience qui l’a totalement changée.
Akane va suivre le même chemin que sa mère : à mes yeux, elle va oublier tous les moments qu’elle a vécu, mais il en restera des traces dans sa vie. Je pense qu’elle va par exemple commencer la peinture, l’art plastique, les activités créatives, comme sa mère. La mère d’Akane voulait offrir à sa fille un beau cadeau d’anniversaire : ce n’était finalement pas un objet matériel mais une belle expérience. [FIN DU SPOILER]
Dans certains de vos films, la ville semble oppressante et la Nature symbolise la Liberté, est-ce quelque chose que vous ressentez personnellement ?
Tout à fait, mais en même temps je ne déteste pas la vie citadine. Moi, je viens de la campagne et je connais sa réalité, donc on ne peut pas non plus dire que la campagne est très belle et qu’elle est comme le monde fantastique. C’est faux.
Wonderland partage plusieurs points communs avec le genre Isekai, qui connaît une grande popularité au Japon depuis plusieurs années. Que pensez-vous de l’Isekai et de son boom ?
Je trouve ça très curieux, je ne comprends pas pourquoi les gens aiment autant l’isekai. Mais peut-être que pour les jeunes japonais d’aujourd’hui, la réalité est tellement dure que c’est le seul moyen pour eux de se déstresser ou de se défouler.
Il semble y avoir une influence steampunk à plusieurs moments du film. Aviez-vous des influences en tête lors de la conception de ces scènes ?
En fait, le steampunk ne m’intéresse pas tellement, mais dans ce film, il fallait absolument trouver un monde opposé à un beau monde. Je voulais donc montrer un monde un peu industrialisé, avec certaines technologies, mais je ne voulais pas que ce soit trop moderne non plus donc je me suis arrêté à l’époque des vapeurs. C’est pour ça que l’on voit autant de vapeur, qui représente ce monde industrialisé.
On vous sait très inspiré par le cinéaste Keisuke Kinoshita. Quelles sont vos autres influences ?
Je suis inspiré par plein de grands films et de grands réalisateurs, comme Akira Kurosawa ou Ozu. Du côté étranger, les films de François Truffaut ou le film Plein Soleil, de René Clément.
Il y a quatre ans, vous me disiez vouloir faire des films différents de Ghibli. Aujourd’hui, Wonderland est parfois comparé au Voyage de Chihiro. Est-ce une référence que vous assumez ou au contraire, qui vous énerve ?
Non, ce genre de comparaison ne me plaît pas tellement.
Quand un film d’animation parle d’écologie, les journalistes français le qualifient quasi systématiquement de « fable écologique ». C’est une catégorisation qui vous parle ?
Je trouve que c’est trop réducteur. C’est un thème important mais je ne voulais surtout pas le mettre en avant parce que je voulais d’abord faire un film de divertissement. Le spectateur doit d’abord prendre du plaisir et ensuite réfléchir à l’écologie.
Avez-vous des regrets sur ce film ?
J’aurais voulu que le film dure plus longtemps, mais le comité de production disait que pour attirer le grand public, il ne fallait pas que le film dure plus de deux heures. J’ai donc finalement raccourci mais j’étais quand même convaincu du résultat.
Le temps nous manque. Pour finir, y a-t-il une question que les journalistes ne vous posent jamais mais que vous aimeriez qu’on vous pose, et quelle serait sa réponse ?
(il réfléchit longuement) Dans ce film, j’ai parsemé quelques clés pour comprendre la narration, qui aident à la compréhension de l’histoire. J’ai beaucoup travaillé sur ça mais très peu de journalistes en parlent. J’aurais aimé pouvoir en parler.
Propos recueillis le 14 juin 2019 à Annecy. Un grand merci à Emmanuelle Verniquet pour avoir rendu cette interview possible.
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