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L’Attaque des Titans – Analyse de l’épisode 31 (Saison 2 épisode 6)
16 mai 2019

L’attaque des titans : Adaptation/Transposition

Rappelez-vous : dans le dernier Anima, j’abordais la notion d’adaptation à travers trois de ses plus brillants représentants. Trois longs-métrages qui investissaient leur univers avec l’intention manifeste de le respecter pleinement tout en ne se gênant pas pour en briser les codes, transcendant ainsi à la fois leur propre mythologie et les spectateurs qui en étaient familiers. Ce qui importait n’était donc pas tant l’histoire qui nous était narrée que la manière dont elle était racontée. Certes solidement écrits, les films en question étaient avant tout portés par la personnalité artistique de leurs réalisateurs et par leur volonté d’aller plus loin qu’une énième restitution de mythologies bien connues des fans. Bref, en partie ce qui différencie un bon film, d’un grand film.

Bien qu’étant aussi une adaptation, le cas de la série adaptée de L’Attaque des Titans est sensiblement différent. D’abord parce qu’en tant qu’adaptation littérale du manga, l’animé n’a pas le luxe de narrer une histoire originale. S’il veut étonner le lecteur, c’est par la forme qu’il doit s’y employer. Ensuite parce que dans le cadre d’une industrie en pleine crise de surproduction, la pénurie d’animateurs et la gestion de plannings toujours plus serrés rend justement plus difficile la réalisation d’animés de qualité et/ou sortant de la norme.

En cela, cette saison 2 de L’Attaque des Titans est tout à fait symptomatique de l’époque qui l’a vue naître. Du simple fait d’une déférence absolue envers le manga de Hajime Isayama, en partie inévitable de par sa nature même d’animé et de sa volonté affichée de ne pas déstabiliser les amateurs des bouquins, cette nouvelle saison n’est pas tant une adaptation qu’une simple transposition. Oui mais voilà : il n’est pas interdit de la qualifier de bonne transposition et à mon sens, une séquence précise symbolise parfaitement cela. Je préviens donc quiconque n’aurait pas lu les dix premiers tomes du manga ou ne serait pas à jour dans la série : je vais spoiler comme un chien. Vous êtes prévenus.

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COMME UN TITAN SUR LA SOUPE

Vous l’aurez compris, la séquence qui m’intéresse est celle de la révélation de l’identité des Titan Colossal et Cuirassé ; j’en reviens donc à ce mariage fondamental entre ce qui est raconté et la manière dont c’est raconté. Typiquement, la plupart des rebondissements concernant l’identité réelle d’un personnage vont bénéficier d’une brève mise en place répondant à une volonté de suspens, de préparer le lecteur/spectateur, de faire monter la tension en quelque sorte.

Dans le manga, Hajime Isayama prend le contre-pied de cette tradition. La révélation concernant les Titans n’a rien de théâtrale ou d’annoncée, et débarque le plus bêtement du monde, comme un cheveu sur la soupe, au détour d’une simple conversation entre Eren et Reiner. À ce moment du récit, le lecteur ne peut qu’être déconcerté par ce qu’on lui propose. Il y a un conflit manifeste entre le poids gigantesque d’un tel rebondissement et le caractère anecdotique de sa mise en place. Le doute est d’autant plus fort qu’Isayama ne se gêne pas pour faire incarner le Titan Colossal par un personnage dont le rôle dans le récit est minime. Bertold n’est même pas un personnage secondaire : il s’agit de l’un des plus discrets et son chara-design générique semblait le condamner à n’être qu’une proie facile pour les titans. Un personnage aussi oubliable, aussi anti-charismatique ne peut décidément pas être le Titan le plus emblématique de l’un des mangas les plus vendus de la décennie. Celui par qui tout a commencé. Nos acquis de lecteurs, les codes que nous connaissons nous empêchent momentanément de croire ce que l’on nous raconte. Et pourtant, ce seul parti-pris d’un climax anti-spectaculaire au possible a tout d’un éclair de génie de la part d’Isayama.

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D’abord parce que faire adopter le rôle du Colossal à un personnage principal nous aurait fait emprunter un chemin émotionnel différent. Il aurait été plus facile d’accepter une révélation conforme aux conventions du manga et nous en aurions été choqués mais galvanisés, là où il nous est d’abord impossible de considérer Bertold dans le rôle qui lui est donné. À défaut d’être galvanisés, nous sommes donc perdus, ce qui renforce notre identification à Eren. Lui comme le lecteur demeurent abasourdis par la remise en question de leurs croyances respectives, à une échelle diégétique pour Eren, extra-diégétique pour le lecteur. Cette nuance émotionnelle est fondamentale puisque la paranoïa inhérente à l’intrigue du manga s’en voit ainsi renforcée, dans la mesure où nous ne pouvons plus croire en rien, pas même dans les codes réconfortants du shônen. Le manga que nous lisons n’est pas celui que l’on croit et les événements qui suivront nous donneront raison, balayant nos attentes d’un revers de la main en même temps qu’Isayama renouvellera son univers et ses enjeux avec brio. Par ces humains dissimulant en eux des êtres gigantesques, le mangaka nous avait pourtant prévenus : le premier-plan n’est qu’apparence et dissimule une vérité d’une toute autre ampleur : il est maintenant temps d’y faire face.

Se posait donc la question de l’adaptation de ces sentiments en animation. J’ai déjà énoncé la réponse plus tôt : l’épisode 6 tente de faire la même chose que le manga. Mais il le fait plutôt bien, étant donné qu’il parvient à restituer, bien que partiellement, des partis-pris propres au manga et impossibles à transposer littéralement en animation.

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RENVERSER LE STATU QUO (UN PEU)

Le premier d’entre eux concerne le premier cadre dans lequel Reiner révèle son identité. Celui-ci est conçu de telle manière que sa réplique soit la dernière que le lecteur lira, minimisant son impact à plus forte raison qu’Isayama condamne à ce moment-là les personnages à l’arrière-plan. Le lecteur adopte alors un temps d’arrêt lié au caractère abrupte de cet instant, face à cette si petite bulle renfermant pourtant un si lourd secret. Un état impossible à restituer dans le média télévisuel du fait de la narration fragmentée spécifique à la bande-dessinée. L’épisode s’en tire à bon compte en adoptant partiellement le point de vue des personnages quittant les protagonistes. La caméra ira jusqu’à imprimer le même mouvement qu’eux tandis que Reiner débutera son speech, condamnant une partie de son monologue au hors-champ et le spectateur à la confusion. Quelques secondes seulement certes, mais qui se rapprochent un minimum – faute de réelle adaptation, donc d’une totale réécriture de la scène – de l’effet voulu par le manga, seul média à même d’en véhiculer le véritable impact.

Surprise, c’est donc quand la série tentera de traduire les émotions du manga par des moyens qui lui sont propres qu’elle parviendra à faire des merveilles. L’exécution des dernières minutes est à ce titre un modèle d’adaptation, en tout cas dans le cadre d’une démarche consistant à reprendre à l’identique les plans du manga pour les animer.

Après avoir perdu le lecteur au gré d’une mise en place minimaliste et d’un découpage on ne peut plus classique, Isayama lui balançait dans la tronche plusieurs pleines pages successives de planches ultra iconiques mettant un terme à ses doutes : Bertold et Reiner sont bel et bien les Titan colossal et cuirassé. En résultait une lecture lente, plus fragmentée que jamais, en état de choc face au gigantisme de la situation, de ses acteurs et des partis-pris graphiques d’Isayama. Le lecteur est perdu mais n’a pas d’autre choix que d’accepter les faits.

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La meilleure idée de l’épisode reste d’avoir répondu à cette fragmentation de la lecture par la continuité propre à son média. Il ne se passera ainsi que deux minutes entre le moment où Reiner soignera son bras – affichant ainsi clairement son état de Titan – et la fin de l’épisode. Entre ces deux instants, le spectateur ne connaîtra pas la moindre seconde de répit, pris au milieu d’une succession d’événements ne lui laissant pas la possibilité de réfléchir, sans autre choix que celui d’accepter ce qui se déroule devant ses yeux. Soit exactement le même état que le lecteur malgré deux temporalités contraires. Effet renforcé par ailleurs par le score impeccable de Hiroyuki Sawano, le même thème que lors de la mort de la mère d’Eren, renvoyant le personnage et le spectateur à des sentiments familiers de terreur et de tristesse.

Par son seul découpage, par le seul fait de nous offrir cette révélation tant attendue de manière aussi minimaliste, Hajime Isayama nous l’annonce à un niveau sensoriel : il va nous falloir accepter de sortir de notre zone de confort, désapprendre nos acquis, renverser le statu quo pour avancer. Non seulement le propos fait-il sens dans le cadre de la séquence, mais aussi préfigure-t-il ni plus ni moins que la révolution qui aura lieu dans le prochain arc, tant au sein même du récit que de sa narration, l’auteur sortant lui-même de sa zone de confort au profit d’une rupture de ton cohérente mais qui en déroutera plus d’un. Une démarche comparable à celle de Shûzo Oshimi dans ses Fleurs du mal, emprisonnant ses personnages et le lecteur dans une norme avant de les en libérer.

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À l’inverse, l’adaptation animée des Fleurs du mal mettait directement ses spectateurs mal à l’aise en les confrontant à une charte graphique inhabituelle. En faisant donc l’exact inverse du manga, la série en restituait pourtant la substantifique moelle. Le but n’était pas de transposer les cases du manga à l’écran, ce qu’elle faisait pourtant parfois, mais d’en véhiculer l’essence par des partis-pris propres au média animé.

La version animée de L’Attaque des Titans, elle, propose fatalement la même chose que le manga mais n’aura pas l’opportunité de traduire son propos formellement. Si la séquence en question fonctionne merveilleusement bien en matière de mise en scène, l’ombre imposante du manga plane en permanence au-dessus d’elle, du fait de la transposition de plans ayant marqué le lecteur. Il subsiste en permanence cette impression que la série zoome à l’intérieur des cases du manga pour les conformer à son propre format.

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Ceci étant dit, la série pouvait-elle réellement faire autrement que de rassurer son public cible ? Si l’on prend en considération le fait que la crise économique ou le piratage font qu’il est difficile pour les studios de rentrer dans leurs frais, était-il vraiment possible de prendre le risque de tuer la poule aux œufs d’or pour l’amour de l’Art, d’adapter le manga plutôt que de le transposer ?

Bref : par ce décalque de l’œuvre d’origine et du fait d’une approche visuelle familière, la série ne parle plus de remise en question de notre confort à partir du moment où elle nous plonge en plein dedans, faute d’avoir voulu – et probablement pu – se réapproprier totalement le manga. Cette séquence fait ainsi état de la saison entière : tendue, émouvante, jouissive dans ses meilleurs moments mais très fidèle, trop fidèle, tellement fidèle au manga que ses évidentes qualités ne doivent pas empêcher un acte essentiel : rendre à Isayama ce qui appartient à Isayama.

AdaptationAnimeHajime IsayamaL'attaque des titansManga
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Guillaume Lasvigne
Créateur d'Anima sur YouTube, émission dans laquelle j'aime explorer les rapports entre les thématiques d'une oeuvre et les moyens de les traiter par la mise en scène.

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    Guillaume
    JehrosGuillaume@Jehros·
    jeudi février 27th, 2020

    Après Ori, Dead Cells ou encore Hollow Knight, Children of Morta rejoint la liste de ces titres indé m'ayant procuré les meilleures expériences de jeu ces dernières années. Gros coup de cœur pour ce roguelite aussi beau qu'exaltant.

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    JehrosGuillaume@Jehros·
    mercredi février 26th, 2020

    J'avais envie de jouir des yeux, du coup j'ai repris Windy Tales.

    4
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    arretsurimagesArrêt sur Images@arretsurimages·
    dimanche février 23rd, 2020

    La vengeance peut-elle porter un message féministe ? Comment peut-on montrer un viol ? Peut-on le faire sans complaisance ? Genre cinématographique, les films "rape and revenge" sont passés au crible par @RDjoumi et @DChedaleux dans #PostPop.
    https://t.co/EkRMg0py0m

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    JehrosGuillaume@Jehros·
    mercredi février 26th, 2020

    La sensibilité de Florence doit certes beaucoup à la superbe musique de Kevin Penkin (Made in Abyss, pour rappel), mais surtout à de belles idées traduisant par le gameplay tranches de vie et états émotionnels. Ça se termine en une quarantaine de minutes, donc allez-y gaiement !

    Reply on Twitter 1232598615408959488Retweet on Twitter 12325986154089594881Like on Twitter 123259861540895948810Twitter 1232598615408959488
    JehrosGuillaume@Jehros·
    mercredi février 26th, 2020

    L'influence écrasante de Firewatch et Shining n'est pas vraiment favorable à The suicide of Rachel Foster, plus prévisible et moins ambiguë dans son écriture qu'il ne semble vouloir l'être. Reste de jolis moments de flippe qui rendent l'aventure appréciable, à défaut de mieux.

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